Les candidats – méthodes

Cette page offre des précisions sur les méthodes employées dans l’ouvrage

Analyser les carrières politiques des élus (chapitre 3)

Les données, et la méthode

Quelle a été la carrière des députés avant leur élection ? La question pourrait paraître simple : on dispose souvent de nombre d’informations sur les parlementaires, que ce soit dans la presse, sur Wikipédia, sur des sites spécialisés, ou sur le site de l’Assemblée qui recense une série d’informations liées au pacours professionnel. Elle est pourtant moins évidente qu’on pourrait le croire. À la fois parce qu’on trouve rarement toute la biographie d’un élu, mais seulement des éléments ; que les responsables de premier plan sont bien connus, mais les députés éphémères ou discrets un peu moins. Mais surtout parce les parlementaire ont parfois tendance à mettre en avant certains traits plutôt que d’autres. Dans les années 2010, on met plus volontiers en avant les expériences hors politique que les emplois en politique.

Il a donc fallu patiemment reconstituer la trajectoire de ces élus. C’est à ce travail qu’on s’est attelé avec Sébastien Michon et Julien Boelaert. Pour les élus de 5 législatures espacées de plus de 40 ans, on a retracé la carrière des députés, et ce année après année. Ce travail a fait l’objet d’une première publication en 2018, dans la Revue française de science politique.

Ces données ont ensuite été traitées avec des méthodes dite d’analyse de séquences. Issue de la recherche en génétique, la méthode est désormais connue et fait partie de la boîte à outils classique des sciences sociales. Elle est désormais utilisée sur des sujets aussi différents que l’analyse des liens entre travail et carrière chez les femmes (Aisenberry et Fasang, 2017), les carrières artistiques (Accominoti, 2009), l’analyse de la mobilité sociale (Halpin et Chan, 1998). En science politique, elle reste moins utilisée du fait de la méconnaissance relative de la technique et sûrement, dans la science politique étatsunienne, du stigmate qui pèse sur les méthodes de description quantitative. Avec Julien Boelaert et Sébastien Michon, nous avons sur cette base proposé une première clarification de la question de la professionnalisation politique avec ces outils. D’autres l’ont aussi mobilisée pour analyser les carrières des députés allemands (voir Ohmura et al., 2017) ou néerlandais (Turner-Zwinkels & Mills, 2020), comme pour étudier les cabinets ministériels (Bellon, Collas et Mayance, 2018).

L’intuition est la suivante : chaque individu est représenté par une « séquence » d’événements qui lui arrivent de façon successive. L’objectif de l’analyse de séquence est de rapprocher les individus dont les trajectoires, quoique partiellement différentes, sont proches, et de les séparer des autres. Pour ce faire, on mesure alors la distance entre chacune des séquences, deux à deux. Puis, sur la matrice de dissimilarité ainsi produite, on applique une méthode de clustering afin de regrouper les séquences les plus proches les unes des autres.

Dans le cas présent, les séquences de députés ont été codées selon cinq états possibles. L’un représente les années passées en mandat local (maire, conseiller municipal, autre mandats locaux). Un autre représente une position nationale : député, sénateur, député européen. Un troisième indique que la personne avait un emploi rémunéré, mais non électif en politique. C’est le cas par exemple des collaborateurs d’élus. Le quatrième état désigne les personnes qui n’étaient pas rémunérées en politique. Le cinquième les années qui précèdent le vingtième anniversaire des élus.

Les trajectoires politiques des députés de 2017

Un des résultats de l’analyse de séquence, c’est le graphique ci-dessous, qui distingue bien entre les différents types de carrière. Le graphique se lit de la façon suivante : chaque ligne représente un élu de 2017. Chaque colonne représente une année. La couleur indique, pour chaque personne et pour chaque année, le type d’engagement politique qu’elle avait.

Avant 2017, certains députés n’avaient jamais été élus, jamais vécu de la politique. On les retrouve principalement dans la catégorie 1, qui regroupe près de 30% des élus. Ils diffèrent assez fortement des autres groupes, par exemple ceux de la catégorie 5, qui ont été élus locaux pendant de nombreuses années, ou ceux de la catégorie 2, qui ont occupé des fonctions de collaborateur d’élus.

Ces différents labels et les propriétés de ceux qu’ils regroupent sont expliquées au chapitre 3 du livre.

(Graphique : T. Collas)

Quelle place pour les novices ? (chapitre 4)

Le succès parlementaire se mesure t-il ?

Il est bien difficile de dire ce qu’est un bon député, ou un député qui « réussit », sans être au mieux brutalement réducteur. Il existe en effet plusieurs manières d’être un élu de la République : on peut être actif dans la rédaction de la loi, s’investir en circonscription, être un opposant de premier plan ou contrôler le gouvernement. On peut aussi, même si c’est moins dicible, se servir de l’Assemblée pour construire une carrière – que ce soit en cherchant à accroître son profil public, à se spécialiser, ou à se créer des réseaux. Par ailleurs, tous les élus ne sont pas égaux. Un député de l’opposition a peu de chances de se voir ses mesures votées, un député de la majorité peut se retrouver noyé dans un groupe parlementaire pléthorique.

On comprend mieux pourquoi les députés, mais aussi les spécialistes du parlement, sont aussi critiques des palmarès qui fleurissent régulièrement dans la presse. S’il est illusoire de trouver un seul indicateur d’activité ou de réussite, on peut tenter de montrer les rôles qu’occupent les parlementaires, une piste féconde déjà suivie par différents chercheurs. Afin de produire une description précise de l’activité parlementaire, je me suis appuyé sur mes connaissances de terrain, sur celles de différents acteurs interrogés pendant l’enquête, et sur la littérature existante. Trois types de variables qui ont été recueillis. Chacune renvoie à une forme d’engagement dans l’activité parlementaire bien mise en avant dans d’autres travaux.

  • La première regroupe une série d’indicateurs qui permettent de saisir la contribution à la production législative et au contrôle du gouvernement.
  • Un autre ensemble cherche à saisir la visibilité médiatique des élus (volume et formes). Pour ce faire, on a collecté les invitations des députés dans différents médias audiovisuels comme dans les quotidiens nationaux et locaux, et leur présence sur Twitter.
  • Enfin, une dernière série d’activités parlementaires a été intégrée, et ce afin de saisir certains usages du mandat. Questions écrites, réservations de salle, exercice de fonctions au parlement. Elles rappellent qu’au parlement, on ne fait pas que légiférer ou s’opposer : on peut aussi se bâtir une stature d’expertise, et toutes les activités ne sauraient être analysées sans saisir le travail de réunion et de création de coalition.

Des données interprétées avec un outil d’intelligence artificielle

Afin de rendre lisible cette masse de données, on recourt à une méthode statistique de réduction de dimensionnalité, les cartes auto-organisatrices ou SOM (pour self-organizing map). L’algorithme est un type de réseaux de neurones artificiels, relativement ancien puisque son invention remonte au début des années 1980. Employé comme un moyen de simplification et de visualisation de jeux de données complexes, il a été utilisé dans de nombreux domaines théoriques et appliqués, mais rarement dans les sciences sociales. Il est pourtant utile pour synthétiser les informations contenues dans un espace multidimensionnel.

Ce que fait l’algorithme, c’est qu’il rapproche des individus dont les pratiques sont semblables. Il place dans une même cellule des députés au profil similaire, et il sépare ceux qui sont éloignés. Dit autrement, son objectif est de rapprocher des députés aux profils relativement proches dans les cases voisines de la carte, et des députés aux profils différents dans les cases éloignées. Une fois les calculs réalisés, on obtient une représentation graphique simplifiée du jeu de données, qui bien qu’aplanie sur deux dimensions en conserve certaines propriétés essentielles. Le détail du fonctionnement de l’algorithme, la méthodologie ont été explicités dans un article de recherche, auquel je me permet de renvoyer. (pré-print ici)

La figure ci-dessous, réalisée avec le logiciel aweSOM co-développé avec J. Boelaert, permet de situer les députés en fonction des différentes activités dans lesquelles ils ont été engagés lors de la première année de mandat (juin 2017-juillet 2018). On voit que dans le quadrant nord-est se retrouvent tous les leaders politiques, et qu’autour d’eux se dessinent des profils de députés de premier plan, mais avec des investissements différents.

Cette carte peut être stylisée de la façon suivante (les noms sont indiqués à titre indicatif).

Pour accéder à la version interactive, cliquer ici.

Les valeurs affichées sont relatives – elles n’ont pas de valeur en soi, mais par rapport aux autres élus. Le positionnement sur la carte est le produit d’une réduction de dimensionnalité, qui montre bien les proximités entre individus, mais ne saurait restituer l’intégralité de la pratique parlementaire. Les personnes intéressées à approfondir ces questions peuvent trouver les données (anonymisées pour des raisons légales) et le script qui permet sa réalisation à cette adresse.

Le livre prolonge cette analyse, et présente une série de figures, qui permettent d’étudier, activité par activité, parti par parti, et aussi en fonction des carrières politiques, le positionnement des individus sur cette carte. On y voit alors la place marginale occupée par les novices dans ce parlement pourtant renouvelé.